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9/2/2020

Jurisprudence du travail isolé : tour d'horizon

La notion de travailleur isolé n’étant pas définie dans le Code du travail, les obligations qu’elle implique pour les employeurs peuvent sembler difficiles à appréhender.

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La notion de travailleur isolé n’étant pas définie dans le Code du travail, les obligations qu’elle implique pour les employeurs peuvent sembler difficiles à appréhender.

Le législateur aborde en fait cette question à partir des situations auxquelles le personnel est confronté : lorsqu’il accomplit une mission dangereuse hors de portée de vue ou de voix d’autres personnes et sans possibilité de recours extérieur, le travailleur est considéré comme isolé1.

Sur le terrain, la situation de travail isolé peut prendre des formes diverses. On distingue notamment l’isolement permanent (réparateurs d’ascenseurs, chauffeurs, …) de l’isolement temporaire (trajets, absence d’un binôme sur un poste à risque).

De même, si l’on pense souvent d’abord à l’isolement physique, il ne faut pas oublier que l’isolement psychique d’un salarié (lourdes responsabilités, risque d’agression) est tout aussi dangereux.
Vous reconnaissez certains de vos salariés dans l’une de ces situations ? Quelles sont vos obligations en cas de pépin ?


Les obligations de l’employeur vis-à-vis du travailleur isolé

Le travail isolé est un facteur d’aggravation des risques. C’est pourquoi des mesures spécifiques doivent être prises pour satisfaire aux obligations de l’employeur en matière de sécurité et de secours.

L’obligation générale de sécurité impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, notamment à travers des actions de prévention, d’information et de formation. Une organisation et des moyens adaptés doivent être mis en place dans un souci constant d’amélioration (Article L4121-1 et suivants du Code du travail).

Parallèlement, le Code du travail impose à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer les premiers secours aux accidentés et aux malades (Article R.4224-16 du Code du travail).

Cette obligation doit faire l’objet d’une attention toute particulière dans le cas des travailleurs isolés, qui ne peuvent pas compter sur leurs collègues pour donner l’alerte. Or, eux aussi doivent pouvoir signaler toute situation de détresse et être secourus dans les meilleurs délais (Article R.4543-19 du Code du travail).


Quel dispositif mettre en place pour l’organisation des secours ?

Comment alerter les secours lorsqu’on se trouve seul, parfois blessé, immobilisé ou menacé par un tiers ?

Les dispositifs d’alarme pour travailleur isolé (DATI) et de protection du travailleur isolé (PTI) permettent de répondre à cette problématique. Face à une situation critique, ces outils permettent au travailleur isolé d’alerter facilement une personne ou une structure chargée de déclencher les secours.

Attention : cette solution d’organisation des secours est essentielle et nécessaire, mais elle ne suffit pas à remplir l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur dans sa globalité. Elle reste malgré tout incontournable dans toutes les situations de travail isolé.

Dès lors, quels éléments prendre en considération lorsque l’on choisit un DATI/PTI ?

Il vous faudra d’une part réfléchir aux besoins spécifiques de votre entreprise et des travailleurs concernés : est-il préférable d’opter pour un système fixe de détection ou pour des systèmes mobiles portés par le salarié, par exemple ?

Mais vous devrez aussi tenir compte des exigences légales en la matière. Une analyse précise de la jurisprudence révèle ainsi que le dispositif d’alerte choisi doit répondre aux caractéristiques suivantes :

  • Il doit pouvoir être mis en œuvre à l’initiative du salarié (Cour d’appel de Grenoble, 21/07/2016, n° 14/04315). Dès lors, les caméras de vidéosurveillance sont insuffisantes ;
  • Il doit pouvoir se déclencher indépendamment de l’intervention du
  • salarié. En effet, il a été jugé que confier au salarié un téléphone portable est inopérant en cas de malaise ou d’accident grave (Cour d’appel de Pau, 06/07/2017, n° 15/02412) ;
  • Il doit être en état de fonctionnement (Cour d’appel de Grenoble, 25/02/2016,
  • n° 14/01491) et fiable, car la perte de confiance dans le dispositif peut engendrer sa mise hors service ;
  • Il doit être soumis à une procédure simple et validée d’organisation des secours, et être en application en permanence.

Quels risques pour l’employeur défaillant ?

Là aussi, l’étude de la jurisprudence permet de comprendre dans quelle mesure la responsabilité civile et pénale de l’employeur est engagée en cas de manquement à ses obligations vis-à-vis des travailleurs isolés.

Responsabilité civile
Le simple manquement de l’employeur à son obligation générale de sécurité peut justifier :

  • La résiliation judiciaire du contrat de travail ou une prise d’acte de la rupture par le salarié (Cass. Soc., 3/2/2010 n° 08-44.019 ; n° 08-40.144) ;
  • Le versement de dommages et intérêts au salarié (Cass. Soc., 17/2/2010, n° 08-44.298 ; Cour d’appel de Paris, 18/11/2015, n° 13/04048) :
    o  Un total de 25 000 € de dommages et intérêts a ainsi été octroyé à un travailleur isolé dont le dispositif PTI ne fonctionnait pas au moment de l’accident (Cour d’appel de Grenoble, 25/02/2016, n° 14/01491) ;
  • Une indemnisation complémentaire du salarié en cas de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur (Cass. Soc., 28-2-2002, n° 00-10.051).
    o  La faute inexcusable a été notamment été retenue à l’encontre de l’employeur d’un salarié, travailleur isolé, victime d’un accident mortel sur le toit de la cabine d’un ascenseur, la Cour de cassation estimant que les mesures nécessaires pour préserver le salarié n’avaient pas été prises (Cass. Civ., 14/03/2007, n° 05-20.424).

Responsabilité pénale
En cas d’infraction aux règles d’hygiène et de sécurité, le chef d’entreprise s’expose en outre à :

  • Une amende de 10 000 € appliquée autant de fois qu’il y a de travailleurs concernés (Article L4741-1 du Code du travail). Le montant de l’amende est porté à 50 000 € pour l’entreprise en tant que personne morale ;
  • L’engagement de sa responsabilité pénale pour homicide ou blessures involontaires (Articles 222-19, 222-20, 221-6, 221-7 du Code pénal) ou pour délit de mise en danger d’autrui (Articles 223-1 et 223-2 du Code pénal) :
    o  Le dirigeant de l’entreprise prestataire d’un chantier de maintenance du trafic ferroviaire et le dirigeant de l’entreprise sous-traitante ont ainsi engagé leur responsabilité pénale pour homicide involontaire suite à l’accident mortel d’un salarié, n’ayant pas pris les mesures qui auraient permis d’éviter cet accident (moyens de communication et d’alerte) (Cass. Crim., 5/12/2000, n° 00-82.108) ;
    o  Le président d’une société a été déclaré coupable du délit d’homicide involontaire et de manquement à l’obligation d’assurer la sécurité des salariés isolés suite à I’accident mortel dont a été victime l’un des salariés qui travaillait seul, à l’intérieur d’une chambre froide sans fenêtre, difficilement accessible en l’absence de mesures de prévention particulières. (Cass. Crim., 25/12/2008, n° 08-81.995).

www.inrs.fr/dms/inrs/CataloguePapier/TS/TI-TS739page50/TS739page50.pdf